Connaissez-vous cette sensation de vide quand vous refermez un livre après avoir lu la dernière page ? C’est ce que j’ai ressenti après avoir terminé Emily de New Moon de Lucy Maud Montgomery. Je me suis dit que je n’aurais pas l’occasion de lire avant longtemps un aussi beau roman, et que l’attente de L’Ascension d’Emily, la suite, serait terriblement longue.
Justine m’a écrit que fin juin n’était pas si long à attendre. Je souscris, c’est complètement vrai. Mais voyez-vous, je ne suis pas patiente quand il s’agit de la suite d’un livre. Et encore, je n'ai pas eu à languir pendant des mois, contrairement à ceux qui ont lu Emily de New Moon dès sa sortie en février. Primo, j’ai eu la chance de lire le premier tome au début du mois de juin, après avoir été vilement tentée par un post Instagram. Secundo, j’ai reçu L’Ascension d’Emily, bien avant la date indiquée par les éditions Monsieur Toussaint Louverture !
Peu après – à peine cinq minutes – avoir terminé Emily de New Moon, j’ai précommandé L’Ascension d’Emily. Je pensais le recevoir au plus tôt le 28 juin – date de sa parution -, ou au plus tard début juillet.
Il y a une dizaine de jours, j’ai été interpellée par un mail Colissimo m’indiquant que j’allais bientôt recevoir ma commande. J’ai d’abord pensé qu'il s'agissait d'une arnaque, car elles sont légion de nos jours… Mais surtout, je n’attendais aucun colis dans l’immédiat. Puis j’ai vu que Monsieur Toussaint Louverture était l’expéditeur, et j’ai jubilé ! Quelques jours plus tard, mon livre, soigneusement emballé, est arrivé avec deux marque-pages dans ma boîte aux lettres. Mais il m’a fallu attendre encore un peu pour le lire, car je n’avais pas fini Nanon de George Sand…
Synopsis
On ne change pas une équipe qui gagne ! L’Ascension d’Emily (Emily Climbs) est également traduit par Laure-Lyn Boisseau-Axmann. Midori Kusano s’est à nouveau chargée d’illustrer la couverture du livre, aux couleurs automnales. Je suis toujours ébahie par le sérieux et la créativité des éditions Monsieur Toussaint Louverture. Continuez !
Alors qu’elle vit à New Moon depuis trois ans, Emily Byrd Starr est, contre toute attente, autorisée par sa tante Elizabeth à poursuivre ses études dans la ville de Shrewsbury en compagnie de ses chers amis, Ilse, Perry et Teddy.
Seulement, Elizabeth Murray impose à sa nièce deux terribles conditions : qu’elle habite chez sa tyrannique Tante Ruth, et qu’elle n’écrive plus une seule ligne de cette abominable chose que l’on nomme la “fiction”. Commence alors l’ascension, lente et pleine de rumeurs, qui conduira Emily à prendre pleine possession de ses moyens et lui permettra de devenir ce qu’elle aspire à être depuis l’enfance : une écrivaine publiée.
Et si son envie d’écrire s’est muée en besoin, et lui-même en discipline, ses sentiments d’adolescente s’éveillent et se transforment eux aussi, et l’amitié se change peu à peu en amour. Résumé L'Ascension d'Emily, Lucy Maud Montgomery, trad. Laure-Lyn Boisseau Axmann, éd. Monsieur Toussaint Louverture.
J’ai donc quitté le Berry pour m’envoler sur l’Île-du-Prince-Edouard, non pas en prenant un vol excessivement coûteux, mais en ouvrant ce roman. Je vous laisse donc découvrir mon avis.
Ma critique
Ce livre, épais de 412 pages, commence en février 1902, quand Emily est âgée de treize ans. Sachez que la date de naissance d’Emily Byrd Starr n’est jamais donnée, ni par notre héroïne, ni par sa biographe (c’est ainsi que se présente la narratrice). Nous savons seulement qu’Emily est née un 19 mai. Le deuxième anniversaire de la mort de la Reine Victoria – mentionné par un personnage secondaire au milieu du récit – nous permet d’élucider le mystère de l’année de naissance de cette chère Emily, qui est née en 1888.
Ayant fait le deuil de son père, notre héroïne a abandonné l'habitude d'écrire des lettres à ce dernier, préférant désormais consigner ses pensées dans un journal intime, un carnet-Jimmy. Sa prose, par ailleurs, s'est remarquablement enrichie. J'éprouve un plaisir particulier à suivre l'évolution de l'écriture d'un personnage, à en observer les progrès au fil du temps. Son style est le miroir de sa maturité croissante.
Ce roman, à l’image d’Emily, est plus mature que le précédent. Nous explorons l’adolescence d’Emily jusqu’à ses dix-sept ans. Quelques mois après son quatorzième anniversaire, Emily quitte New Moon pour suivre ses études au lycée de Shrewsbury, une ville à dix kilomètres de la ferme des Murray. Contrairement à sa meilleure amie Isle, Emily ne loge pas dans une pension mais chez sa vieille tante Ruth. Une femme rigide à l’esprit étroit, bien plus terrifiante que la Tante Elizabeth.
Shrewsbury est une ville moyenne, très différente de Blair Water, plus rurale, où ont grandi Emily et ses amis. Cependant, tout comme aux alentours de New Moon, les potins vont bon train dans cette ville. Quant à la maison de la Tante Ruth, Emily ne l’aime pas beaucoup et n’apprécie nullement la décoration de sa chambre, ornementée des portraits de la reine Alexandra et de Lord Byron. Seule la sapinière, dans le jardin de Ruth Dutton, trouve grâce à ses yeux. Elle la surnomme d’ailleurs le Royaume vertical.
Au lycée, Emily ne se fait pas vraiment d’amis. Elle développe en plus une inimitié avec Evelyn Blake, une adolescente d’un an son aînée, qui est la nièce par alliance de l’horrible Mademoiselle Brownell, l’ancienne institutrice de l'école de Blair Water.
Son amitié avec Isle est toujours aussi forte, bien que les deux amis se disputent de temps en temps. Et puis, il y a aussi Perry et Teddy, qui suivent leurs études dans le même lycée. L’adolescence est aussi la période où les sentiments amoureux s’éveillent…
Autre amitié importante, celle que poursuit Emily avec Dean Priest, dit « Tordo ». Ce bossu, apparenté à la Tante Nancy, avait sauvé la vie d’Emily dans le premier tome. Il était aussi un ami de Douglas Starr, le père décédé de la jeune fille. Cependant, Dean dans ce deuxième opus est un personnage inquiétant. Il se montre très possessif avec Emily, alors qu’il a l’âge d’être son père. Il jalouse également Teddy.
Avant qu’il n’ait pu répondre, j’ai entendu le sifflement de Teddy dans le bois de Sa Majesté John – un tendre sifflement de deux notes aiguës suivies d’une basse ; c’est notre signal.
« Excuse-moi, il faut que j’y aille… c’est Teddy, ai-je expliqué.
- Dois-tu le rejoindre aussitôt qu’il t’appelle ? »
J’ai hoché la tête avant de lui expliquer : « Il ne le fait que lorsqu’il a expressément besoin de moi, et je lui ai promis que je viendrais toujours, si c’était possible.
- Moi aussi, j’ai expressément besoin de toi ! Si je suis venu ce soir, c’est dans le but de lire Les contes de l’Alhambra en ta compagnie. »
Je me suis soudain sentie très malheureuse. J’avais terriblement envie de rester auprès de Dean, et pourtant, j’ai senti que je devais rejoindre Teddy. Dean m’a jeté un regard perçant puis il a refermé son livre d’un coup sec.
« Vas-y », m’a-t-il dit.
Je suis partie… mais bizarrement, la soirée en était quelque peu gâchée. L'Ascension d'Emily, Lucy Maud Montgomery, trad. Laure-Lyn Boisseau Axmann, éd. Monsieur Toussaint Louverture, p. 39-40.
Honnêtement, j’appréciais beaucoup ce personnage énigmatique dans Emily de New Moon. Il est l’une des rares personnes avec qui Emily peut tenir une conversation intéressante. Dean est un homme très cultivé, qui partage les goûts de la jeune fille pour la littérature. Il est aussi l’un de ses mentors. Dans ce second tome, Dean m’a mise très mal à l’aise… Cet homme a l’âge d’être le père d’Emily, qui n’a même pas encore fêté ses quatorze ans dans ce passage. L’histoire se déroulant au début du XXe siècle, une telle attitude ne choquait peut-être pas autant qu’aujourd’hui. Après tout, Egard Allan Poe a épousé en 1836 sa cousine âgée de treize ans.
Cependant, je pense que Lucy Maud Montgomery avait bien conscience du malaise que pouvait susciter Dean Priest. L’autrice a donné à son personnage un nom très religieux. Chez les Chrétiens, Dean signifie doyen et est un titre donné à un ecclésiastique. De plus, son nom de famille, Priest, signifie prêtre. Lucy Maud Montgomery s’est beaucoup inspirée de sa vie pour écrire les trois tomes qui composent l’histoire de son héroïne. Elle a notamment épousé un pasteur presbytérien, Ewen MacDonald, qui ne s’intéressait pas aux activités littéraires de sa femme. Leur mariage n’a vraisemblablement pas été très heureux…
Dean adopte peu à peu la même attitude avec Emily et dénigre tout ce qu’elle écrit, alors qu’il était le premier à l’encourager. Je n’irais pas jusqu’à dire que Dean Priest est un pédophile, car il ne dépasse jamais les limites. Mais j’ai failli plusieurs fois brandir le drapeau rouge. Il n’est d’ailleurs pas le seul à courtiser Emily.
Cessons de parler des galants de notre héroïne, et attachons-nous plutôt à ce qu’elle écrit. En lisant le résumé de l’œuvre, j’ai vraiment eu peur. Je craignais que cette suite perde la substance magique qui caractérisait le premier tome. Certes, l’intrigue est bien plus mature, à l’instar d’Emily. L’interdiction de la Tante Elizabeth n’empêche pas réellement Emily d’écrire, car elle tient toujours un journal intime. Elle se contente uniquement d’écrire sur le vrai. Par exemple, elle compose des poèmes basés sur la réalité. Durant ces trois années passées à Shrewsbury, Emily apprend, se remet en question, essuie des échecs… D’ailleurs, j’ai noté une phrase qui est toujours d’actualité et qui m’a beaucoup amusée. Je ne résiste pas à l’envie (Stéphane Bern… Vraiment ?) de vous citer le passage :
Aujourd’hui, mon histoire Les Sables du temps m’a été renvoyée par le magazine Merton’s. Mais la lettre de refus était dactylographiée, et non imprimée. Un rejet tapé à la machine ne semble pas aussi insultant, bizarrement.
« Nous avons lu votre histoire avec intérêt, mais nous sommes au regret de vous annoncer que nous ne pouvons la publier pour le moment. »
Si leur « avec intérêt » est sincère, c’est encourageant. Mais peut-être tentaient-il simplement d’arrondir les angles ? L'Ascension d'Emily, Lucy Maud Montgomery, trad. Laure-Lyn Boisseau Axmann, éd. Monsieur Toussaint Louverture, p. 261.
Vous constaterez que ces mots très déplaisants existaient déjà au début du XXe siècle, et qu’ils n’ont pas été inventés pour l'envoi de ces affreux mails automatiques, dénués d’honnêteté.
Emily affûte sa plume, écoute les conseils de son ancien instituteur, Monsieur Carpenter, corrige ses textes, et… triomphe ! En parallèle de sa scolarité, Emily collabore avec le Time, un journal, en écrivant des chroniques mondaines sur Shrewsbury. Comme l’indique le titre de ce second opus, nous assistons bel et bien à l’élévation progressive d’Emily dans le milieu littéraire.
L’Ascension d’Emily de Lucy Maud Montgomery est à la hauteur du premier tome. L’humour mordant et les rêveries de l’héroïne sont toujours de la partie. Ce roman nous offre un très bel aperçu des maux et des joies de l’adolescence, mais aussi le long cheminement d’Emily pour devenir une écrivaine reconnue.
Le troisième tome, La Quête d’Emily, paraîtra en octobre 2024. En attendant, L’Ascension d’Emily sera disponible en librairie dès le 28 juin. Vous pouvez aussi lire mes critiques sur Le Château de mes rêves et Emily de New Moon de Lucy Maud Montgomery.
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