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Photo du rédacteurMarieChristMasH

Revue: Le Château de mes rêves de Lucy Maud Montgomery

Dernière mise à jour : 8 juin 2024

Page de titre Le Château de mes rêves Lucy Maud Montgomery traduction Hélène Le Beau France Loisirs roman littérature canadienne

Lucy Maud Montgomery, autrice canadienne décédée en 1942, a été remise à l’honneur ces dernières années grâce à la série Netflix Anne with an E (2017 – 2019), adaptée de son roman Anne… la maison aux pignons verts (Anne of Green Gables). En 2020, les éditions Monsieur Toussaint Louverture ont commencé la publication des œuvres de Lucy Maud Montgomery, qui étaient difficiles à se procurer en France il y a encore quelques années. Le Château de mes rêves (1926) est un roman peu connu et n’est plus édité depuis plusieurs années.


Il y a quelques semaines, alors que j’occupais l’une de mes soirée en lisant La lectrice en robe jaune, blog tenu par la remarquable Justine, je suis tombée sur un article qui a retenu toute mon attention. Sa chronique était illustrée par un livre de la collection Cranford, dont j’achetais les numéros assez régulièrement il y a quelques années. Cependant, le titre de ce roman ne me disait absolument rien. L’avais-je oublié après mon achat ? Plus je lisais sa chronique, plus j’avais envie de lire ce roman de Lucy Maud Montgomery, que je ne connaissais que pour Anne de Green Gables. À la fin de ma lecture, je me suis précipitée dans ma chambre pour vérifier si j’avais en ma possession ou non Le Château de mes rêves. J’ai parcouru ma bibliothèque, et il n’était pas là… Pire j’avais cessé d’acheter les livres de cette collection juste avant la parution de ce livre… la boulette ! Alors j’ai cherché sur le net, dans l’espoir de le trouver dans cette édition spécifique, et il était introuvable. Rien non plus sur Vinted… J’étais dépitée.


Début mai, alors que je regardais à tout hasard sur Vinted, Le Château de mes rêves est tombé dans les résultats. Certes, il ne s’agissait pas de l’exemplaire de la si belle collection Cranford. Tant pis, l’occasion était vraiment trop belle! J’ai donc passé ma toute première commande sur Vinted et ai reçu cette vieille édition de France Loisirs, datant de 1992, en excellent état. The Blue Castle – titre original – a été édité en France pour la première par les éditions Flammarion en 1991 et a été traduit par Hélène Le Beau. C’est d’ailleurs cette édition qui a été reprise par France Loisirs en 1992.


Synopsis


De santé délicate, et pas très jolie, Valancy Jane Stirling est, à vingt-neuf ans, considérée comme une vieille fille et sert de bouc-émissaire au clan familial. Du jour où elle apprend qu’une grave maladie de cœur va abréger sa vie, elle se révolte, brise ce qui l’étouffe, défie les lois rigides de sa famille, et rencontre l’amour en la personne d’un séduisant marginal… Résumé de l'édition France Loisirs du Château de mes rêves

L’existence mortifère d’une vieille fille rangée


Valancy Jane Stirling aurait pu bien s’entendre avec Fanny Price (Mansfield Park) et Anne Elliot (Persuasion). À l’instar de la dernière héroïne de Jane Austen, Valancy, dite « Doss », est une vieille fille qui mène une existence rangée auprès de deux insupportables femmes : une mère avare et sèche, et une vieille cousine hypocondriaque. Bâton de vieillesse des deux femmes, Valancy est pourtant infantilisée et moquée par chacun des membres de sa famille établie à Deerwood, bourgade fictive située en Ontario. Les Stirling forment un clan appartenant à la bourgeoisie locale de Deerwood et de ses environs. Valancy ne leur porte pas beaucoup d’affection, mais se laisse piétinée et humiliée par chacun d’entre eux jusqu’à l’âge de ses vingt-neuf ans.


Les humiliations sont légion depuis son plus jeune âge. Elle est le faire-valoir de sa cousine Olive, une jeune femme légèrement plus jeune qu’elle, mais considérée comme une beauté. Olive, faussement gentille, s’amuse depuis leur enfance à arracher à Valancy tout ce qu’elle peut.


Une espèce de frénésie s'empara des filles. Elles se ruèrent sur les tas de poussière avec des pelles et des sceaux et, en quelques secondes, le tas de poussière d'Olive ressemblait à une véritable pyramide. Valancy essaya en vain de protéger le sien de ses petits bras tendus et décharnés. Elle fut brutalement poussée de côté et son tas de poussière ramassé avec une des pelles s'ajouta aux autres, sur le tas d'Olive. Valancy se retourna résolument et commença à en construire un autre. Une fois de plus, une des grandes se jeta sur son tas. Valancy lui barra le chemin, rouge, indignée, les bras écartés.
- Ne le prends pas, supplia-t-elle. S'il te plaît, ne le prends pas.
- Mais pourquoi? demanda la fille plus âgée. Pourquoi refuses-tu de nous aider à faire un immense tas pour Olive?
- Parce que je veux mon tas de poussière à moi, répondit pitoyablement Valancy.
On ignora sa demande. Pendant qu'elle discutait avec une fille, l'autre défit son tas de poussière. Valancy se retourna, le cœur gros et les yeux remplis de larmes.
[…] Mais Valancy ne l'oublia jamais. Encore aujourd'hui, elle en éprouvait du chagrin. Mais n'était-ce pas le symbole de toute son existence?
- Je n'ai même pas pu avoir mon propre tas de poussière, pensa Valancy. Le Château de mes rêves, Lucy Maud Montgomery, trad. Hélène Le Beau, éd. France Loisirs, p. 57.

Sa propre mère et sa vieille cousine Stickles n’ont d’ailleurs aucun scrupule à enfermer Valancy plusieurs mois par an dans leur maison pour éviter qu’elle tombe malade : ce qui arrive immanquablement. Valancy est aussi la cible des moqueries de l’Oncle Benjamin, épicier dont elle est l’héritière, qui la tourne en dérision avec ses blagues et charades. Seule Cousine Georgiana, une vieille veuve pas très futée, traite avec gentillesse Valancy.


Valancy parvient à tenir grâce à son monde imaginaire. Depuis son enfance, Valancy imagine qu’elle est la châtelaine d’un château de conte de fées, « le Château bleu », et qu’elle est courtisée par plusieurs chevaliers.

- […] Tu avais l'air si différente des autres filles, si gentille et si douce, comme s'il y avait quelque chose en toi que personne ne connaissait, un secret bien gardé, un beau secret. En avais-tu un, Valancy?
- J'avais mon Château Bleu, dit Valancy en riant gentiment. Le Château de mes rêves, Lucy Maud Montgomery, trad. Hélène Le Beau, éd. France Loisirs, p. 116.

Elle trouve aussi un peu de réconfort grâce à la lecture des livres de John Foster, un écrivain mystérieux qui publie des ouvrages sur la nature. Mais même ce simple plaisir est considéré avec suspicion par sa mère. Valancy n’a en effet pas le droit de lire des romans, et peut emprunter une fois par mois (et pas plus) à la bibliothèque un exemplaire de son auteur favori.


Valancy ne savait pas si elle nourrissait son esprit mais elle sentait vaguement que si elle avait connu les livres de John Foster quelques années auparavant, sa vie aurait pu être différente de celle d'aujourd'hui. Ces livres lui apportaient une vision d'un monde où elle serait peut-être entrée un jour, mais les portes qui permettaient d'y accéder étaient désormais condamnées. Le Château de mes rêves, Lucy Maud Montgomery, trad. Hélène Le Beau, éd. France Loisirs, p. 15.

Valancy: une parodie d'héroïne romantique


Son vingt-neuvième anniversaire – au mois de mai – marque un véritable tournant dans l’existence fade et triste de Valancy. Gênée par des palpitations cardiaques, Valancy consulte en secret le Dr Trent et apprend, peu après dans une lettre du médecin, que ses jours sont comptés. L’héroïne prend conscience qu’elle n’a jamais connu un seul instant de bonheur de toute son existence.


Après s’être longuement apitoyée sur son sort, Valancy décide que sa dernière année sur terre sera heureuse et qu’elle fera tout ce dont elle a envie. À certains égards, cette héroïne peut nous faire penser à Amélie Poulain (2001), mais aussi à Mélanie dans Vilaine (2008) qui reprennent leur vie en main. Elle me fait surtout penser aux héroïnes romantiques atteintes de maladies incurables, telles que la tuberculose. Mais ne vous y trompez pas, Valancy Jane Stirling n’est pas une héroïne romantique. Lucy Maud Montgomery parodie le genre dans Le Château de mes rêves.


Celle qui se rapproche le plus de ce genre d’héroïne est Cecilia Gay - dite "Cissy" -, une amie d’enfance de Valancy. Valancy quitte précipitamment la maison de sa mère, rue Elm, pour s’installer à l’écart de la ville chez Abel le Rugissant, un charpentier ivrogne. Cet homme est aussi le père de Cissy et a besoin de quelqu’un pour s’occuper de sa fille gravement malade. Pourtant issue de la bourgeoisie locale, Valancy accepte de devenir sa servante et se déshonore aux yeux de sa famille. À l’instar des héroïnes romantiques, Cissy souffre d’un mal incurable, la tuberculose.


Tout comme son père, Cissy est une marginale. Elle a été rejetée par la société après être devenue une fille-mère. Malheureusement son enfant est mort peu après sa naissance, et Cissy ne l’a pas supporté. Il s’agit ici de son seul crime, celui qui lui a valu d’être ostracisée par les gens bien-pensants de Deerwood. En s’occupant de Cissy, Valancy trouve un sens à son existence.


Un roman sur la quête du bonheur


En apprenant qu’elle est condamnée, Valancy réalise un fantasme, celui de vivre pleinement heureuse durant le temps qui lui reste. Avant de connaître le diagnostic du Dr Trent, Valancy était paralysée par une peur de vivre. Celle-ci s’efface soudainement, car sa mort approche. Valancy ne craint alors plus les jugements de ses proches, et prend même plaisir à leur dire leurs quatre vérités. Tant pis, s’ils la considèrent comme une folle ! Tant pis, si Oncle Benjamin la déshérite! Elle n'aime aucun de ces gens…


L’un de ses premiers actes de rébellion est de tailler grossièrement le rosier que lui avait offert Cousine Georgiana, car il n’a jamais donné la moindre fleur. Cet acte, jugé fou par sa mère, était un mal nécessaire pour que la plante s’épanouisse. À l’instar de son rosier, Valancy trouve le bonheur en opérant des changements radicaux dans son existence. Elle quitte sa famille, s’entoure de personnes dont elle apprécie la compagnie, comme Abel le Rugissant, Cissy ou encore Barney Snaith. Valancy ne se plie plus à aucune règle, et dépense son argent comme bon lui semble.


La vie en pleine nature est aussi bénéfique. Valancy se métamorphose petit à petit, aussi bien physiquement que mentalement.


Elle tombe amoureuse du marginal de la région, Barney Snaith, qui vit en ermite sur une île, en plein milieu du lac Mistawis. En ville, la rumeur raconte que Barney est tour à tour un ivrogne, un bandit et un meurtrier. Mais Valancy est persuadée que cet homme est bon et qu’il n’a jamais tutoyé le déshonneur. Elle lui propose le mariage, et je ne vous en dirai pas plus…


Le mot de la fin


Je m’attendais à un roman sulfureux en lisant Le Château de mes rêves, mais son intrigue reste bien sage. À certains égards, ce roman est un conte de fées moderne qui fait la critique de la petite bourgeoisie canadienne, et nous questionne sur le sens du bonheur. Lucy Maud Montgomery parodie aussi les romans romantiques mettant en scène de pauvres héroïnes, atteintes de maladies mortelles. Cette lecture a été très agréable, et je remercie Justine de La lectrice en robe jaune d'avoir partagé sa chronique. Sans elle, je n'aurais jamais découvert ce roman.


Page de titre Couverture Le Château de mes rêves  Lucy Maud Montgomery traduction Hélène Le Beau France Loisirs roman littérature canadienne

Si vous souhaitez le lire, je vous conseille de surveiller les sites spécialisés dans la revente d’objets d’occasion, les boîtes à livres, les étagères d’Emmaüs, ou encore les vide-greniers. Pour ma part, j’ai eu beaucoup de chance en trouvant rapidement un exemplaire à un prix dérisoire. Depuis 2020, les éditions Monsieur Toussaint Louverture ont édité quelques-unes des œuvres de Lucy Maud Montgomery, notamment toute la saga consacrée à Anne Shirley. J’ignore si cette maison d’édition a pour projet d’éditer tous les romans et toutes les nouvelles de l’autrice canadienne. Restons à l’affût !


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