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Revue: Nanon de George Sand

Nanon George Sand romans éternels cranford collection littérature française 1872 mariechristmash

Un prince une bergère peuvent bien s’accorder quelquefois. Cette vérité chantée par la fée des Lilas dans Peau d’Âne (1970) de Jacques Demy s’applique parfaitement à Nanon (1872) de George Sand. Ce court roman, publié quatre avant la mort de l’autrice ayant grandi dans le Berry, ne se contente pas de raconter une romance entre une paysanne et un aristocrate. Nanon met en lumière les excès et les horreurs de la Révolution française à travers les yeux d’une héroïne de condition très modeste. Il s'agit aussi d'un roman de formation où Nanon s'élève progressivement grâce à l'éducation et à sa bonté.


Je vous propose aujourd’hui mon avis sur ce roman de George Sand, qui s’est éteinte en 1876 à Nohant.


Synopsis


À soixante-quinze ans, Nanon commence à écrire ses mémoires pour laisser un souvenir à ses enfants et petits-enfants. Née en 1775 dans le Berry, elle devient orpheline à cinq ans et est recueillie par son grand-oncle, Jean Lepic. Ce paysan pauvre prend soin d'elle et lui transmet les valeurs rurales. Destinée à rester pauvre et illettrée, la jeune paysanne connaît un destin extraordinaire grâce à sa brebis Rosette, qui la mène à Emilien, un cadet d'une famille noble et riche, forcé de rentrer dans les Ordres.

Un manifeste pour l'éducation universelle


George Sand était une grande admiratrice de Jean-Jacques Rousseau, qu’elle considérait comme un père spirituel. La pensée du philosophe l’a souvent guidée dans l’écriture de ses romans. Dans Mauprat, l’autrice faisait d’un ermite presque analphabète le double de l’auteur de l’Emile. Nanon et Emilien, deux jeunes adolescents, n’ont quasiment rien en commun au moment de leur rencontre. Nanon est une pauvre paysanne qui prend grand soin de sa brebis, Rosette. Emilien est le fils cadet de deux aristocrates qui négligent leurs deux plus jeunes enfants au profit de leur aîné, destiné à devenir marquis. La tradition familiale des Franqueville veut que les fils cadets et les filles soient donnés au clergé. Emilien, pourtant de noble naissance, est illettré et connaît à peine ses parents qui préfèrent se pavaner à Versailles.  


Émilien de Franqueville était né intelligent et résolu. Pour l’empêcher de prétendre au premier rang dans la famille, on avait travaillé à tuer son âme et son esprit. Son frère n’était pas, à ce qu’il paraît, aussi bien doué que lui, mais il était l’aîné, et, dans cette famille de Franqueville, tous les cadets avaient été dans les ordres. C’était une loi à laquelle on n’avait jamais manqué et qui se transmettait de père en fils. […] On peut penser qu’il y eut en lui quelques révoltes. Elles furent si vite et si bien étouffées, qu’il entra dans la vie déjà mort à bien des choses et aussi naïf à seize ans qu’un autre à huit. On lui avait donné pour précepteur une espèce d’idiot qui eut pour tout esprit celui de comprendre qu’il fallait tâcher de rendre son élève idiot comme lui. N’en venant pas à bout, car Émilien avait naturellement de l’esprit et du bon sens, il fit semblant de l’instruire et de le surveiller, tout en le laissant complètement à lui-même. Aussi l’enfant savait-il à peine lire et écrire quand il vint au couvent ; mais il avait beaucoup réfléchi et beaucoup raisonné à sa guise, et il s’était refait une âme à lui seul. Nanon, George Sand.

Cependant, sous l'influence de Nanon, Emilien décide de poursuivre son instruction, partageant chaque nouvelle connaissance avec la jeune bergère. Le petit moine, comme le surnomme Nanon, prend progressivement conscience de l'importance de l'éducation, qui lui avait été refusée par sa famille. Elle lui offre les clés pour comprendre le monde, ainsi que les tenants et aboutissants de la Révolution française, qui débute peu après leur rencontre.


De son côté, la petite paysanne utilise l’instruction dispensée par son ami pour faire le bien autour d’elle. À Valcreux, les gens sont pour la plupart illettrés et peu informés de leurs nouveaux droits gagnés grâce à la Révolution. Nanon rend service à chacun en déchiffrant les billets et lettres reçus, puis cultive peu à peu son intelligence pour s’élever socialement et intellectuellement.


George Sand fait de la bergère une héroïne féministe. Nanon est déterminée à s’enrichir pour être digne d’Emilien et être indépendante. Le moutier de Valcreux, confisqué par la République aux moines puis racheté par un avocat Jacobin, devient un lieu de l’harmonie grâce aux talents de gestionnaire de Nanon.


Un roman historique


George Sand décrit dans Nanon une époque troublée, marquée par la Révolution française et la Terreur. Au début du roman, Valcreux, une petite bourgade reculée du Berry, demeure sous le joug des anciennes lois féodales. Les paysans, qui ne possèdent rien, sont les serfs des moines du monastère. Ces derniers sont représentés comme des fainéants égoïstes qui préfèrent dormir le matin plutôt que de réciter l’Angelus de bonne heure. Ils rechignent d’ailleurs à accomplir leur devoir quand Valcreux est potentiellement menacé par une invasion de brigands. En effet, les moines, en contrepartie des impôts qu'ils perçoivent, sont tenus de protéger les paysans en cas d'attaque ennemie.


Paris étant loin, les échos de la Révolution et les changements qu’elle apporte avec elle n’arrivent que tardivement à Valcreux. Cette société rurale, exploitée durant des siècles, peine à comprendre ses nouveaux droits.


Un beau jour du mois de mars 1790, le petit frère vint à la maison et nous dit:
— Mes amis, vous êtes des hommes libres ! On s’est enfin décidé à exécuter et à publier le décret de l’an dernier qui abolit le servage dans toute la France. À présent, vous vous ferez payer votre travail et vous établirez vos conditions. Il n’y a plus de dîmes, plus de redevances, plus de corvées ; le moutier n’est plus ni seigneur, ni créancier, et bientôt il ne sera même plus propriétaire.
Jacques souriait sans croire à ce qu’il entendait ; Pierre hochait la tête sans comprendre ; mais le père Jean comprenait très bien, et je crus qu’il allait tomber en faiblesse, comme s’il eût reçu un coup trop fort pour son âge. Nanon, George Sand.

La Révolution donne au peuple quelques avantages. Ainsi dès le printemps 1791, les paysans sont autorisés à acheter les lopins de terre qu’ils cultivaient. Le moutier et les biens des moines sont saisis par la Révolution et rachetés par M. Costejoux, un avocat. Ce bourgeois Jacobin incarne la Révolution dans le roman de Sand. Il se lie d’amitié avec Nanon et Emilien et leur assure sa protection. Mais la Révolution glisse inéluctablement vers la Terreur. L’aristocratie et le clergé deviennent des cibles de premier choix, alors que les nations voisines – qui ont accueilli des émigrés de la noblesse française – menacent d’envahir la France.


Costejoux, qui croyait au bienfondé des idéaux de la Révolution, perd peu à peu son optimisme en voyant le pays sombrer dans la barbarie et le chaos. Les pires crapules, à l’instar de l’ancien moine Pamphile, s’associent aux révolutionnaires pour commettre des crimes et tirer avantage de cette sombre période. Nanon est d'ailleurs profondément écœurée par la tournure que prend la Révolution.


Voilà votre malheur et celui de vos amis, monsieur Costejoux ; vous croyez connaître le peuple parce que vous vous jetez résolument au beau milieu de ce qu’il a de plus mauvais et de plus terrible, et vous n’en connaissez que la lie, et vous croyez que le peuple tout entier est féroce et affamé de vengeance. Alors, vous travaillez pour le contentement des pires et vous ne vous doutez pas du blâme des meilleurs. Vous jugez ceux-ci timides et mauvais patriotes parce qu’ils ne vont pas en bonnets rouges vous tutoyer et vous caresser. Moi, je dis que ces modérés si méprisés ont été meilleurs patriotes que les autres, puisqu’ils vous ont supportés pour ne point nuire à la défense du pays. Ce qu’il faudrait connaître, ce qu’il faudrait entendre, voyez-vous, c’est ce qui se dit tout bas, et c’est là ce que vous ne savez jamais, puisque vous ne vivez qu’au milieu des déclamations ou des hurlements. Nanon, George Sand.

Par un pur élan patriotique, Emilien s'enrôle dans l'armée française, bravant les menaces de la guillotine dues à son statut social. À travers les rares missives qu'il adresse à Nanon, nous plongeons dans le récit des affrontements contre la première coalition. Il est aussi question dans le roman, des nobles qui ont émigré à l’étranger dans l’attente de retrouver leurs privilèges et leurs biens confisqués par la République. Les Franqueville, parents d’Emilien, incarnent cette émigration condamnée avec véhémence par les révolutionnaires.


A contrario, Louise, la sœur cadette d’Emilien, représente cette noblesse qui refuse d’adhérer aux idées de la Révolution. Bénéficiant de la protection de Costejoux, Louise aime et méprise à la fois ce bourgeois qui n’est pas digne de son rang de fille de marquis.


Un roman féministe


George Sand fait de son héroïne éponyme une féministe qui, partie de rien, gravit les échelons sociaux grâce à son labeur. La première possession de Nanon est une petite brebis achetée par son oncle. Tout au long du roman, Nanon apprend à cultiver la terre, à saisir les opportunités et à engranger des bénéfices. Par sa finesse d'esprit, elle acquiert le respect du moine Fructueux, qui la chérit comme sa propre fille, et même celui de Costejoux, malgré son mépris affiché envers les femmes qu'il qualifie de "femmelettes". Epris de Louise, l’avocat propose le mariage à Nanon qui est plus sensée et instruite que la petite aristocrate qu’il protège et gâte. Nanon est aussi une jeune femme courageuse qui risque sa vie pour libérer Emilien, emprisonné à tort à Châteauroux.


Le mot de la fin


Ce court roman est une lecture agréable, malgré quelques lourdeurs inutiles. On reconnaît aisément le style de George Sand qui situe son intrigue dans le Berry, région où elle a grandi.


Nanon George Sand romans éternels cranford collection 1872 littérature française mariechristmash

Nanon n’est pas uniquement un roman pastoral. George Sand distille dans cette histoire ses propres idées, telles que la nécessité d’une éducation universelle, mais aussi sa propre perspective de la Révolution et de la Terreur.

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