L’une de mes amies a posté il y a quelques jours sur Instagram un genre de Bingo – créé par @joybetweenpages - portant sur les pratiques de lecture en 2024. Je me suis donc prêtée au jeu, mais j’ai tiqué en lisant la case « Read a new genre ». Durant l’année, je n’ai découvert aucun nouveau genre… jusqu’à ce que par hasard, je lise 3096 jours de Natascha Kampusch. C’est une autobiographie, j’ai déjà expérimenté ce genre… Mais si vous connaissez l’histoire de Natascha Kampusch, vous voyez ce que je veux dire. Je n’ai jamais lu de biographie, d’autobiographie sur des personnalités qui ont traversé des épreuves particulièrement difficiles, telles qu’un crash d’avion, un attentat… ou encore un kidnapping. Ça ne m’intéressait pas.
Très récemment, alors que je naviguais sur Facebook ou TikTok – je ne sais plus -, je suis tombée sur un extrait du film 3096 jours (2013), adapté du livre de Natascha Kampusch, et je me suis demandé ce qui pouvait amener un être humain à enlever un enfant et à le traiter aussi mal. Je me suis alors rappelée que ce bouquin traînait parmi les livres de ma mère et je l’ai donc lu… En toute honnêteté, je ne pense pas avoir reçu la réponse à ma question.
Le nom de Natascha Kampusch est devenu célèbre dans le monde entier fin août 2006, période où elle a retrouvé « la liberté ». À l’époque, j’avais neuf ans et demi, soit à peu près l’âge de Natascha Kampusch quand elle a été enlevée en mars 1998. Mais je ne me souviens pas avoir entendu parler de cet événement pendant l’été 2006. Contrairement à Natascha Kampusch, qui avait conscience à seulement dix ans en 1998 des enlèvements et des meurtres de petites filles en Autriche, je ne me souciais nullement de tout cela en 2006. Il y avait bien l’affaire Estelle Mouzin, mais je n’étais pas aussi bien informée que la jeune Natascha Kampusch en 1998. Les consignes des adultes me paraissaient étranges : « Ne parle pas aux inconnus », « Fais attention, aux vilains messieurs » … Natascha Kampusch, dix ans, était bien mieux informée que moi – car les rapts de petites filles faisaient l’actualité à la fin des années 90 – et pourtant elle a été enlevée par un monsieur tout le monde, et non par un affreux, par un monstre tout droit sorti des films d’horreur.
Synopsis
Natascha Kampusch a vécu le pire ; le 2 mars 1998, à l’âge de dix ans, elle est enlevée sur le chemin de l’école. Pendant 3096 jours, huit ans et demi, son bourreau, Wolfgang Priklopil, la garde prisonnière dans une cave d’environ cinq mètres carrés, près de Vienne. En août 2006, elle parvient, par ses propres moyens à s’enfuir. Priklopil se suicide le jour même. Dans ce récit bouleversant, Natascha Kampusch révèle les circonstances de son enlèvement, le quotidien de sa captivité, sa terrible relation avec son ravisseur et la façon dont elle a réussi à survivre à cet enfer. Le témoignage unique d’une traversé de l’inimaginable par une jeune femme qui se n’est jamais laissé briser.
Portrait du ravisseur
Ce qui m’a interpellée pendant ma lecture est que Natascha Kampusch désigne l’homme qui l’a enlevée et séquestrée pendant huit ans et demi par « mon ravisseur », et plus rarement par son patronyme « Priklopil ». Une façon, sans doute, pour elle de prendre ses distances avec l’homme qui lui a fait vivre un véritable enfer en la soustrayant à ses proches et en la torturant.
Néanmoins, Natascha Kampusch livre dans son roman un portrait très nuancé de Wolfgang Priklopil. Aux yeux de tous, Priklopil était un homme discret, un bon voisin, un fils très proche de sa mère. Personne n’aurait pu imaginer que cet ancien technicien de chez Siemens pouvait dissimuler une part très sombre, et même bestiale. Pendant huit ans et demi, Natascha Kampusch a été forcée de composer avec cet homme à la personnalité complexe, dérangée.
Ses premières impressions sur son kidnappeur, alors qu’il s’apprêtait à l’enlever dans la rue, sont édifiantes :
C’était un pauvre homme, me dis-je ; il émanait de lui un tel besoin de protection que j’eus spontanément envie de lui apporter mon aide. Cela peut paraître étrange, comme une volonté de s’en tenir coûte que coûte à la foi puérile en la bonté de l’être humain. Mais lorsqu’il me dévisagea pour la première fois, ce matin-là, il semblait égaré et très fragile. (p. 51)
Et rapidement elle ne tarde pas à découvrir la paranoïa de Priklopil, dès le premier jour de sa captivité. Son ravisseur lui confisque son cartable, car il craint que la fillette de dix ans y ait placé un émetteur… en 1998. Il se montre également impulsif, lunatique et s’avère être un maniaque du contrôle.
Dans la cache, Natascha Kampusch dépendait entièrement du bon vouloir de son ravisseur pour assurer ses besoins primaires. Elle le qualifie même de "cordon ombilicale avec l’extérieur". Pendant les premiers mois de sa captivité, Natascha Kampusch était considérée comme un petit enfant par Priklopil qui lavait lui-même la fillette dans l’évier de la cellule. Son besoin constant de la contrôler s’exprima notamment dans l’installation d’une minuterie - qui régulait chaque jour l’utilisation de la lumière et de l’électricité dans le bunker – et d’un interphone pour épier et commander Kampusch :
Je sursautais chaque fois que sa voix perçait le silence, lorsqu’il me menaçait de représailles parce que j’avais répondu trop lentement ou que j’avais trop mangé. […] L’interphone était l’instrument parfait pour me terroriser. (p. 129)
Mais la fillette découvre rapidement les failles de l’interphone et Priklopil trafique une radio pour mieux espionner sa victime :
L’homme pouvait désormais sans prévenir, se mettre à l’écoute de ma « vie » et vérifier, à n’importe quel instant, si je respectais ses instructions. Si j’avais coupé la télévision. Si la radio était allumée. Si je grattais encore l’assiette avec ma cuiller. Si je respirais. Ses questions me poursuivaient jusque sous ma couverture : « Tu as laissé la banane ? » « Tu t’es lavé le visage ? » « Tu as éteint la télé à la fin de l’épisode ? » Je ne pouvais même pas lui mentir, faute de savoir depuis combien de temps il m’épiait. Si je ne lui disais pas la vérité ou si je ne répondais pas tout de suite, il criait dans le haut-parleur jusqu’à ce que ma tête ne soit plus qu’un martèlement. (p. 130-131)
Les violences physiques ont commencé peu après le début de la puberté de Natascha Kampusch. Priklopil considérait alors que sa captive n’était plus une enfant – à seulement douze ans -, mais une femme. À partir de cet âge, l’adolescente pouvait se trouver dans la maison du ravisseur pour préparer les repas, faire le ménage ou encore effectuer des travaux difficiles. Son ravisseur n’avait besoin d’aucun prétexte pour la brutaliser. Les coups qu’elle recevait étaient d’une violence sans nom.
Elle partage d’ailleurs plusieurs pages du journal intime qu’elle tenait – à l’insu de Priklopil – pendant sa captivité. Nous pouvons notamment y lire que le mois d’août 2005 a été particulièrement éprouvant. Chaque jour, Natascha recevait d’innombrables coups, car - selon elle - Priklopil était instable et angoissé à cette époque.
Wolfgang Priklopil semblait considérer Natascha Kampusch comme sa compagne, mais surtout comme sa propriété et son esclave. Personne dans son entourage ne lui connaissait de petite amie, et il semblait rencontrer des problèmes relationnels. Vers l’âge de quatorze ans, Natascha Kampusch a commencé à partager le même lit que son ravisseur. Kampusch écrit que le kidnappeur avait soif de pouvoir et qu’il avait besoin de l’exercer sur une fillette qu’il pouvait modeler à sa façon. Il était aussi un fan du film Pleasantville (1998) et avait donné la cassette à l’adolescente :
Le film semble être une parabole de la vie que je menais. Pour le ravisseur, le monde extérieur était comparable à Sodome et Gomorrhe, partout guettaient les dangers, la saleté et le vice. Un monde qui incarnait pour lui ce contre quoi il échouait et dont il voulait se garder, et moi avec. Notre monde derrière ses murs jaunes devait être Pleasantville : « Encore des gâteaux ? » - « Merci, chérie. » Une illusion que je retrouvais dans ses discours : nous pourrions être si bien dans cette maison aux surfaces impeccables, qui brillent trop, et aux meubles qui étouffent presque par leur kitsch. Mais il continuait de travailler à la façade, investissait dans sa vie, ou plutôt « notre » nouvelle vie, qu’il malmenait de ses poings l’instant suivant. (p. 240-241)
Natascha Kampusch dépeint aussi Priklopil comme un homme narcissique, notamment lors de la préparation de leur séjour dans une station de ski non loin de Vienne :
Cette sortie au ski représentait un risque énorme. Un risque qu’il prenait non pas pour exaucer un vœu que je formulais depuis longtemps, c’était une mise en scène pour lui seul, censée lui permettre de réaliser ses fantasmes. Descendre les pistes avec sa « partenaire », qu’elle l’admire parce qu’il skie bien. La façade parfaite, une image de lui-même, alimentée par l’humiliation et l’oppression, par la destruction de mon moi. (p. 264)
Ainsi, d’après l’expérience de Natascha Kampusch, l’individu qui l’a séquestrée pendant 3096 jours présentait un profil psychologique très inquiétant.
Une prison physique puis psychologique
Natascha Kampusch a d’abord passé six mois enfermée dans la cache : un bunker dissimulé sous le garage de la résidence de Priklopil, à plusieurs mètres de profondeur. Natascha Kampusch qualifie d’ailleurs le cachot de "sarcophage", complètement indétectable.
Dans le garage attenant à la maison, il y avait une fosse à vidange dont l’accès était recouvert de plusieurs planches en bois. Dans cette même fosse à vidange se trouvait une armoire en métal qui cachait un lourd coffre-fort, encastré dans le mur. Priklopil déplaçait le coffre-fort pour accéder un petit boyau creusé sous sa maison qui menait au bunker – mesurant environ cinq mètres carrés. L’accès à la cache se faisait par l’ouverture d’une imposante porte blindée faite de béton et d’acier.
Pendant six mois, Natascha Kampusch a vécu dans une pièce d’à peine cinq mètres carrés, sans savoir où elle se trouvait et ne voyait que Wolfgang Priklopil en semaine. Le ravisseur ne descendait jamais dans la cache pendant les week-ends qu’il passait avec sa mère, et laissait Natascha livrée à elle-même avec quelques provisions. Au bout de six mois, le ravisseur a accepté que la fillette aille à l’étage pour prendre un bain moussant sans la quitter des yeux.
Peu à peu la cache – que Natascha Kampusch considérait à la fois comme sa chambre, son refuge et sa prison – a été aménagée par le ravisseur et la captive. Priklopil a fourni des ustensiles de cuisine, mais aussi des appareils d’électroménager – tels qu’un petit four, des plaques de cuisson et un petit réfrigérateur. Il a également construit un lit en mezzanine après que Natascha Kampusch a eu à dormir sur un petit matelas en mousse, puis sur une chaise longue. La pièce – située à plusieurs mètres de profondeur – était humide, bien qu’elle fût ventilée par une installation et un ventilateur. Priklopil apporta également à Natascha Kampusch un ordinateur – sans connexion internet -, une télévision, un magnétoscope, des livres, une radio, un walkman, des livres et quelques jeux. Il a aussi repeint les murs du cachot en laissant le choix de la couleur de la peinture à la jeune fille.
Après un certain temps, Natascha Kampusch a pu monter à l’étage pour prendre des douches – et rarement des bains -, partager des repas et regarder la télévision. Elle était étroitement surveillée par son ravisseur qui ne s’éloignait jamais à plus d’un mètre de la jeune fille.
Quand Natascha eut ses premières règles, Priklopil – qui considérait qu’elle était une femme – la fit travailler : cuisine, ménage, travaux pénibles… Natascha Kampusch aurait pu être tentée de fuir en passant par la porte d’entrée, mais Priklopil lui avait fait croire dès le début de sa captivité que les fenêtres et les portes donnant sur l’extérieur étaient piégées avec des explosifs. De plus, Priklopil ne la quittait pas des yeux.
La prison psychologique, elle, a été plus insidieuse, progressive… Priklopil, bien qu’atteint de certaines pathologies relevant de la psychiatrie, était très malin. Il a dans un premier temps fait croire à Natascha Kampusch qu’il n’était qu’un intermédiaire censé la livrer à d’autres personnes… qui ne sont jamais venues la récupérer dans un bois. Pour s’attacher la confiance de la fillette, il s’est présenté comme un type avec des principes, un intermédiaire qui agissait pour de véritables crapules, des pédophiles.
Puis l’enlèvement est soudainement devenu crapuleux : une demande de rançon avait été envoyée, mais la famille de Natascha ne souhaitait pas payer puisqu’il ne l’aimait pas. Natascha Kampusch n’en a jamais cru un traitre mot, bien que le doute s’insinuât parfois en elle. Elle était la petite dernière d’une famille recomposée qui se déchirait sous ses yeux depuis plusieurs années.
Priklopil, qui ne supportait plus que Natascha parle de ses parents, lui imposa un nouveau prénom "Bibiana", puis se présenta comme étant sa seule famille :
« Je t’ai sauvée. Maintenant tu m’appartiens », répétait-il. Ou encore : « Tu n’as plus de famille. Ta famille, c’est moi. Je suis ton père, ta mère, ta grand-mère et tes sœurs. Je suis tout pour toi maintenant. Tu n’as plus de passé », me serinait-elle. « Tu es tellement mieux chez moi. Tu as de la chance que je t’aie recueillie et que je m’occupe aussi bien de toi. Tu n’appartiens qu’à moi. Je t’ai créée. » (p. 164)
De temps en temps, le ravisseur permettait à sa victime de se rendre dans le jardin, ou l’emmenait dans certains commerces ou en excursion. Cependant, Natascha Kampusch devait rester près de lui, baisser les yeux et ne parler à personne. Si elle songeait à s’échapper, de demander de l’aide à quelqu’un, Priklopil la menaçait de tuer quiconque lui viendrait en aide et de s’en prendre à sa famille, mais aussi à elle-même. Il prétendait qu’il portait une arme à feu et qu’il n’hésiterait pas à en faire usage.
Mais la perversité du ravisseur ne s’arrêtait pas là… Il utilisait également les violences physiques et psychologiques sur Natascha Kampusch qui recevait quotidiennement – ou presque – des coups, des insultes, des vexations. Ces maltraitances étaient ponctuées de gestes attentionnés, tels que des glaces et des bonbons.
Natascha Kampusch souffrait aussi de la faim. Priklopil, paranoïaque, était persuadé que l’industrie agroalimentaire empoisonnait la population, et imposa divers régimes à sa captive pendant huit ans. Mais il savait aussi qu’une personne sous-alimentée ne pensait pas à se rebeller, ni à s’échapper… seulement à la nourriture. Parfois Natascha Kampusch ne recevait aucune nourriture, ou parfois quelques carottes crues. Les repas en commun, qui étaient avant sa puberté une joie, devinrent un supplice. Elle écrit qu’elle devait parfois regarder son ravisseur manger les plats qu’elle lui préparait sans avoir le droit à la moindre bouchée. Si elle était autorisée à manger, Natascha Kampusch ne recevait qu’une maigre portion.
Syndrome de Stockholm?
Généralement – de ce que j’ai pu lire ici et là – Natascha Kampusch est associée au syndrome de Stockholm. On lui reprocherait d’éprouver de la compassion pour son bourreau. Certains l’accusent même d’être tombée amoureuse de Priklopil. Je n’ai rien lu de tel dans 3096 jours. Certes, Natascha Kampusch livre un portrait nuancé de son ravisseur qui n’est pas à ses yeux le Mal incarné, mais avant tout un être humain avec sa part d’ombre, ses faiblesses et ses qualités.
D’après la Revue médicale suisse, ce syndrome est défini par :
1) le développement d’un sentiment de confiance des otages vis-à-vis de leurs ravisseurs, dans la mesure où ces derniers arrivent à justifier leur acte ; 2) la naissance d’un sentiment positif des ravisseurs envers leurs otages et 3) l’apparition d’une hostilité des victimes envers les forces de l’ordre. [...] Par extension, on a utilisé le syndrome de Stockholm pour décrire la situation dans laquelle un conjoint violent utilise des contraintes et le chantage affectif, en plus de ses menaces et d’agressions physiques, pour maintenir sa femme dans un état de dépendance.
Natascha Kampusch a toujours nié souffrir du syndrome de Stockholm.
Un diagnostic qui catégorise et que je récuse fermement. Les regards dont on accompagne ce terme employé à tort et à travers ont beau être pleins de pitié, l’effet est cruel : la victime est victime pour la deuxième fois, on lui retire la mainmise sur l’interprétation de son histoire et on transforme ses expériences les plus importantes en aberrations dues à un syndrome. On relègue aux confins de l’indécence cette attitude vitale.
Le rapprochement avec le ravisseur n’est pas une maladie. Se créer un cocon de normalité dans le cadre d’un crime n’est pas un syndrome. Au contraire. C’est une stratégie de survie dans une situation sans issue, et qui est plus fidèle à la réalité que cette plate catégorisation selon laquelle les criminels sont des bêtes sanguinaires et les victimes des moutons sans défense, et dans laquelle la société se complaît. (p. 199)
Natascha Kampusch n’a pas souhaité partager certains événements intimes ayant eu lieu lors de sa captivité, et je respecte son choix. Moi-même, je ne divulguerai pas dans un livre ou dans des interviews des détails très privés de ma vie. Néanmoins, ces moments volontairement passés sous silence ont laissé place à des spéculations vraiment odieuses que Natascha Kampusch a démenties dans son livre.
L’un des premiers gros titres sur le ravisseur après ma libération fut « la bête sexuelle. » Je n’écrirai pas sur cette partie-là de ma détention – c’est le dernier reste de sphère privée que je veux encore préserver, maintenant que ma vie en captivité a été émiettée en d’innombrables rapports, auditions, photos. Mais je veux dire au moins ceci : dans leur soif de sensations, les journalistes étaient complètement à côté de la plaque. Le ravisseur était à bien des égards une bête, et plus cruelle qu’on ne peut l’imaginer – sauf de ce point de vue. (p. 210)
Beaucoup aussi ont reproché à Natascha Kampusch d’avoir pardonné à son ravisseur ses actes odieux à son encontre. Mais au cours de son emprisonnement, elle a rapidement compris que le pardon était essentiel pour ne pas être consumée par la haine et survivre aux terribles traitements qu’elle endurait. Pardonner ne signifie pas oublier.
Comment expliquer l'inexplicable?
Ces huit années de captivité lui ont permis d’esquisser des hypothèses sur les raisons de son emprisonnement. Natascha Kampusch n’a jamais su de la bouche de Priklopil les véritables raisons qui l’avaient poussé à l’enlever : pourquoi elle ? pourquoi faire ? Parfois, son ravisseur lui fournissait des réponses confuses, qui n’avaient aucun sens. Mais en vivant avec lui, en apprenant à le connaître, elle a pu trouver une explication plausible :
Je crois aujourd’hui qu’en commettant son terrible crime Wolfgang Priklopil voulait uniquement créer son propre petit monde, un petit univers vierge et occupé par une personne que ne serait là que pour lui. Incapable de le construire par des moyens normaux, il avait décidé de forcer quelqu’un à s’en charger et à lui donner forme. Au fond, il voulait juste ce que tout le monde veut : de l’amour, de la reconnaissance, de la chaleur. Il voulait un être humain pour lequel il serait la personne la plus importante au monde. Apparemment, le seul moyen qu’il eût trouvé était d’enlever une timide enfant de dix ans et de la couper du monde extérieur jusqu’à ce qu’elle soit mûre physiquement pour être « créée » de nouveau. (p. 164-165)
Elle compare également son histoire au mythe de Pygmalion dans lequel un sculpteur, dégoûté par la conduite des femmes de Chypre, se voue au célibat puis décide de créer la femme idéale en la sculptant. Kampusch écrit qu’elle devait correspondre aux idéaux de son ravisseur : blonde, mince, servile… Il lui a également dispensé une instruction, car il ne supportait pas les gens bêtes. De plus, tout comme Pygmalion, Priklopil – adorateur d’Hitler – était misogyne, mais il plaçait sur un piédestal sa mère. Sa stratégie consistait donc à créer à partir d’une petite fille de dix ans la femme idéale en la brisant et en la modelant… mais il a fort heureusement échoué.
Le 23 août 2006, Natascha Kampusch a retrouvé la liberté, profitant d’un rare moment d’inattention de son ravisseur. Ce dernier – recherché par la police – s’est suicidé quelques heures plus tard en se jetant sous un train.
Critiquer un tel livre n’est pas une mince affaire. On ne peut pas dire « je m’attendais à mieux, ou à autre chose ». J’ai été, si je puis dire, agréablement surprise par cette lecture. Natascha Kampusch a publié son histoire quatre ans après la fin de son calvaire, à seulement vingt-deux ans. On devine à travers ses mots son incroyable maturité, son intelligence, sa résilience et sa capacité à analyser méticuleusement les épreuves qu’elle a traversés. Ce n’est pas une lecture que je recommanderai à tout le monde, d’autant plus que le sujet traité est éprouvant et loin d’être divertissant.
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