Avions-nous vraiment besoin d'une cinquième adaptation sur la tragique histoire du Vol Fuerza Aérea Uruguaya 571? C'est la question que je me suis posée quand j'ai eu vent de la sortie du Cercle des neiges le 4 janvier 2024. J'avais encore en mémoire le film Les Survivants sorti en 1993 que j'avais visionné durant mon adolescence et qui ne m'avait pas laissé de merveilleux souvenirs. Il y a quelques jours, ma sœur a eu envie de regarder Le Cercle des neiges de Juan Antonio Bayona, alors que ça ne me disait absolument rien. Je craignais de voir des scènes sordides et sanglantes, et finalement les deux heures et vingt-quatre minutes du film m'ont donné tort. Le seul aspect qui m'a déçue est de ne pas avoir eu la possibilité de le visionner sur grand écran, au cinéma.
Synopsis
Après le crash de leur avion au cœur des Andes, les survivants font front ensemble et deviennent les uns pour les autres le meilleur espoir de rentrer chez eux.
Le Cercle des neiges, Netflix
Que signifie le titre du film?
La traduction française du nom du film de Bayona n'est pas fidèle au nom original, La sociedad de la nieve, qui signifie littéralement "La société de la neige", qui ne sonne pas très bien à l'oreille. Néanmoins, il y avait moyen de trouver une traduction un peu plus fidèle. A la suite de ce crash, les survivants forment bien une communauté avec ses propres règles. Le titre français choisi est une référence à la Divine comédie de Dante, et plus particulièrement à la partie consacrée à L'Enfer. Dante, dans son long poème, décrit l'enfer comme une succession de plusieurs cercles où sont envoyés les pécheurs. Botticelli avait d'ailleurs entrepris l'illustration de l'œuvre poétique de Dante. Le feuillet le plus célèbre est certainement La Carte de l'Enfer.
Le Vol Fuerza Aérea Uruguaya 571 s'étant crashé à 3600 mètres d'altitude dans la cordillère des Andes, les survivants se sont retrouvés dans un lieu hostile dans lequel il n'y avait que de la neige et des montagnes, loin de toutes traces de vie et de civilisation. Les victimes subissent le froid, la famine, les conséquences de leurs blessures plus ou moins graves et même une avalanche. Les Andes deviennent un espace impitoyable, un véritable enfer.
Un drame historique sur une histoire incroyable
Ce n'était malheureusement pas la première fois qu'un avion disparaissait dans la cordillère des Andes, la plus longue chaine de montagnes continentale du monde. Jusqu'en 1972, aucun passager n'avait survécu à un crash dans cette zone de l'Amérique du sud. Et pourtant, quelques jours avant Noël, seize passagers du Vol Fuerza Aérea Uruguaya 571 retrouvent leurs proches après avoir survécu plus de deux mois dans ce milieu hostile. Sur les quarante-cinq personnes à bord de l'avion, vingt-neuf ont péri le jour du crash et durant les jours et semaines qui ont suivi la catastrophe.
Le film restitue fidèlement les éléments importants du drame. Ainsi contrairement au film de Frank Marshall sorti en 1993, Bayona décide de garder les noms des survivants et des victimes. Le réalisateur espagnol a - durant plusieurs années - questionné les passagers ayant survécu à cette catastrophe aérienne dans un souci de véracité des faits. A chaque mort, le nom et l'âge de la victime sont donnés.
Le film de Bayona ne vire pas au sensationnalisme et fait preuve de pudeur, car ceux qui sont revenus des Andes ont survécu en partie grâce à l'anthropophagie, le tabou ultime dans nos sociétés occidentales et dans la religion chrétienne.
Un film avant tout spirituel
Bayona a fait le choix de donner la parole à un mort, le dernier à avoir trépassé dans les Andes: Numa Turcatti n'avait que vingt-cinq ans et avait tout à faire. Numa est le narrateur du film. Il ne faisait pas partie de l'équipe de rugby à bord de l'avion. Il accompagnait deux de ses amis au Chili.
Numa est à la fois un témoin et un acteur de ce drame. D'après ses compagnons d'infortune, Numa Turcatti était très actif: il soignait les blessés et participait aux expéditions entreprises par les survivants. Bayona donne également à son narrateur une fonction morale. Comme d'autres passagers, Numa répugnait à consommer de la chair humaine, celle de leurs proches et amis, alors qu'il n'y avait rien d'autre pour se nourrir. Dans le film, nous voyons que Numa en consomme très peu et seulement au moment où il tombe gravement malade, à la suite d'une infection causée par une blessure au pied.
La consommation de la chair humaine, seule denrée disponible dans ce no man's land, entraine bien évidemment un débat entre les survivants. Certains sont totalement contre, en raison de leurs croyances, mais aussi parce que les morts sont leurs proches. D'autres considèrent qu'ils n'ont pas d'autre choix que de transgresser cet ultime tabou pour survivre, et assimilent cet acte à un don d'organes, bien que les victimes n'aient pas donné leur accord. Ayant appris que les recherches avaient été arrêtées - grâce à une radio réparée -, les survivants ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour quitter les Andes. La survie devient donc une nécessité, un devoir. Les survivants scellent donc un pacte en autorisant la consommation de leur propre chair par leurs compagnons s'ils devaient mourir.
Le parallèle avec le Christ devient alors de plus en plus visible. Chacune des victimes décédées l'incarne plus ou moins, notamment celles qui ont souffert. Je pense notamment à Arturo Nogueira dont l'agonie dura trente-quatre jours et qui plaçait sa foi non pas en Dieu, mais en ses compagnons. Mais celui qui incarne le mieux le Christ dans le film de Bayona à mes yeux est Numa, le narrateur. Handicapé par sa blessure au pied et ayant conscience que sa fin est proche faute de soins, Numa se questionne sur le sens de cette tragédie et désespère de ne plus pouvoir être utile aux autres. Pourtant sa blessure est son premier sacrifice.
Dans le film, Bayona montre Numa briser avec son pied une fenêtre de l'avion quelques jours après l'avalanche, alors que l'air commençait à manquer. Grâce à cet acte, Numa sauve ses compagnons d'infortune. La blessure à son pied semble superficielle, mais finit par s'infecter. Tout comme Arturo, Numa agonise, dépérit et finit par donner son consentement: "Il n'y a pas plus belle preuve d'amour que de donner sa vie pour ses amis." Son corps se transforme alors en provisions pour Nando et Canessa qui entreprennent un périlleux voyage de dix jours dans les Andes pour trouver du secours. En mourant, Numa participe au sauvetage de ses seize compagnons, à l'instar du Christ qui avait donné son "corps".
En somme, Le Cercle des neiges est un film magnifique, un pur chef d'œuvre, réalisé avec beaucoup de pudeur. Bayona livre ici un drame historique poignant, respectueux et spirituel sur une catastrophe aérienne qui fait toujours parler d'elle plus d'un demi siècle après les faits. Si vous disposez d'un abonnement Netflix, je vous recommande chaudement le visionnage de ce film. Vous ne le regretterez pas.
Comments