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Critique: Après la pluie le beau temps de la Comtesse de Ségur

Critique analyse Après la pluie le beau temps 1871 Comtesse de Ségur éditions Hachette collection Bibliothèque rose vintage 1971 roman littérature jeunesse française 19e siècle

Après la pluie le beau temps (1871) est le dernier roman publié par la Comtesse de Ségur trois ans avant son décès. Peu connu, en comparaison des Malheurs de Sophie, des Petites filles modèles et des Vacances qui ont fait la renommée de l’écrivaine, Après la pluie le beau temps n’en est pas moins une lecture intéressante, quoique légèrement désuète.


Synopsis


Sous ce proverbe qu’elle a choisi pour titre, la comtesse de Ségur nous fait connaître la belle histoire d’une orpheline élevée par un oncle injuste. Même lorsque Georges, son fils, a tort, c’est Geneviève, sa nièce, que celui-ci punit, et la générosité de Geneviève est telle que jamais elle ne dénonce son cousin.
Mais si l’oncle est aveugle, d’autres ne le sont pas et la pauvre orpheline se trouve d’amusants protecteurs : Ramoramor, un Noir, fidèle au souvenir de ses parents, et Mlle Primerose, une vieille cousine bavarde autant qu’agissante. C'est à eux deux qu’elle devra de voir enfin le bonheur éclairer sa vie qui semblait si bien promise à l’infortune.
Après la pluie le beau temps.
(Librairie Hachette, coll. Nouvelle bibliothèque rose, 1971)

Après la pluie le beau temps 1871 Comtesse de Ségur Hachette 1971 roman littérature jeunesse française 19e siècle

L’éducation : un thème largement exploité par la Comtesse de Ségur


L’héroïne, Geneviève, est une jeune orpheline recueillie par son oncle, M. Dormère, qui est incapable de l’aimer. Elle est élevée avec son cousin Georges, fils de M. Dormère, qui est le parfait opposé de la fillette. Si Geneviève est bonne, généreuse et aimante, Georges est méchant, malhonnête et égoïste. Georges rejette sans arrêt ses fautes sur son infortunée cousine, qui est punie et privée de l’affection de son oncle.


Le patronyme de M. Dormère peut faire penser au verbe « dormir ». L’homme censé éduquer Georges et Geneviève est un mauvais tuteur qui reste aveugle au mauvais fond de son fils et à la gentillesse de sa nièce. Il est aussi un mauvais éducateur qui reste la plupart du temps passif. En effet, il préfère déléguer l’instruction et l’éducation de son fils et de sa nièce aux autres.


Georges est instruit par les pères jésuites aux côtés de son cousin Jacques, puis chez les Dominicains. Néanmoins, les religieux ne parviennent pas à changer le caractère de Georges, qui se gâte au fil des années. A contrario, Jacques est un excellent élève et un modèle de vertu.


Après plusieurs péripéties impliquant son cousin, Geneviève est confiée à sa cousine, Mlle Primerose, qui devient pour elle une figure maternelle, en contraste avec son oncle qu’elle n’a jamais pu considérer comme un père. Célibataire de trente ans, Mlle Primerose est initialement perçue comme repoussante par Geneviève, son apparence étant décrite de manière peu flatteuse : petite, rondelette, avec un visage marqué par la variole. Cependant, cette femme non mariée, hébergée chez ses amis les Saint-Aimar, prend rapidement Geneviève sous son aile. Sensible aux injustices dont la fillette est victime à Plaisance, Mlle Primerose décide de remédier à son ignorance : elle commence par lui donner des leçons, avant de l’envoyer au couvent lorsque M. Dormère abandonne ses responsabilités envers sa nièce.


Geneviève peut aussi compter sur le soutien de Pélagie, sa bonne, et de Ramoramor, l’ancien serviteur noir de ses parents. Ces deux domestiques, qui rappellent à Geneviève le temps où elle était heureuse avec ses parents, vouent à leur jeune maîtresse une loyauté sans faille, mais aussi un amour inconditionnel.


Ainsi Geneviève reçoit son éducation et son instruction d’un trio assez marginal, puisqu’il est constitué d’une bonne, d’un domestique noir et d’une vieille fille. A contrario, l’éducation et l’instruction de Georges sont assurées par plusieurs hommes qui ne parviennent pas à bonifier le fils de M. Dormère qui devient un jeune homme indolent, dépensier, malhonnête… mais aussi un coureur de jupons et de dot.


Stéréotypes racistes: la figure du "bon nègre" au XIXe siècle


L'une des raisons pour lesquelles Après la pluie le beau temps est aujourd'hui presque illisible réside dans la manière dont la Comtesse de Ségur y dépeint un homme noir, reflétant les stéréotypes racistes du XIXe siècle.


Ramoramor, dit Rame, était l’ancien serviteur des parents de Geneviève en Amérique. Lors d’une traversée de l’Atlantique, Rame a mystérieusement disparu sur le bateau qui ramenait les Dormère en France. Pendant trois années, le serviteur a remué ciel et terre pour rejoindre la France et retrouver ses maîtres. Il arrive à Plaisance et apprend que ses anciens maîtres sont morts. Profondément attaché à Geneviève, qu’il appelle « petite maîtresse », Rame supplie M. Dormère de le laisser vivre chez lui pour rester aux côtés de sa jeune nièce, car il avait fait la promesse aux Dormère de toujours veiller sur leur fille.


Oh ! Moussu. Moi faire tout quoi ordonnera moussu. Moi pas demander argent, pas demander chambre, moi demander rien ; seulement moi servir petite maîtresse. Moi manger pain sec, boire l’eau, coucher dehors sur la terre et moi être heureux avec petite maîtresse ; moi tant aimer petite maîtresse, si douce, si bonne pour son pauvre Rame. (Après la pluie le beau temps, p. 43)

Dans cet extrait, nous remarquons que Rame s'exprime en « petit nègre », bien qu'il ait servi fidèlement les Dormère pendant de nombreuses années, et continue à le faire durant une décennie. Par ailleurs, il apparaît clairement que Rame avait le statut d’esclave en Amérique et qu’il n’a probablement jamais été affranchi. De surcroît, son personnage est souvent caractérisé par des réactions impulsives et immatures, utilisées pour introduire un ressort comique dans le roman.


Pourtant, Ramoramor incarne davantage une figure paternelle pour Geneviève que son propre oncle, M. Dormère. Si son prénom peut sembler comique au premier abord — et est même transformé en « rat mort » par Mlle Primerose à la suite d’un malentendu —, une analyse plus attentive révèle qu’il contient le mot « amor », signifiant « amour » en français. Bien qu’il soit peu probable que la Comtesse de Ségur ait intentionnellement voulu faire d’un serviteur noir la figure paternelle d’une jeune fille blanche de bonne famille, le contraste avec M. Dormère est frappant : ce dernier, bien que lié à Geneviève par le sang, se montre un tuteur décevant, manquant à ses devoirs, alors que Rame est son premier protecteur.


Le triomphe de l'harmonie et de la morale


Fervente catholique depuis l'âge de treize ans, la Comtesse de Ségur a toujours imprégné ses romans pour la jeunesse des valeurs et de la pensée issues de sa foi. Ainsi dans Après la pluie le beau temps, la foi catholique est très présente et est notamment représentée par plusieurs personnages. Jacques, l’excellent élève des jésuites, devient un zouave pontifical pour défendre l’Etat pontifical contre l’Unité italienne en 1867. Geneviève, qui a été instruite au couvent de l’Assomption, est également dépeinte comme une sainte, qui est prête à devenir religieuse si Jacques ne l’épouse pas. Mlle Primerose soigne les blessés à l’hôpital après la bataille de la Mentana (novembre 1867) au cours de laquelle Jacques et Rame sont grièvement blessés.


Si nous pouvons reprocher à la Comtesse de Ségur d’écrire des romans présentant des personnages manichéens, cette critique n’est pas totalement vraie dans Après la pluie le beau temps. M. Dormère est certes injuste à plusieurs reprises avec sa nièce, mais il n’est pas un tyran comme Mme Fichini (Les Petites filles modèles et Les Vacances). M. Dormère éprouve de l’affection pour Geneviève et est souvent tiraillé par les décisions éducatives qu’il doit prendre. Privilégiant toujours son fils au détriment de Geneviève, M. Dormère ouvre les yeux à la fin du roman sur Georges et le renie. Ce dernier avait commis la faute de trop en volant à son père dix mille francs, une somme considérable.


Plaisance, qui était un lieu où régnaient l’injustice et les mensonges, devient à la fin de l’histoire l’endroit où triomphent l’harmonie et la morale. M. Dormère décide de léguer tous ses biens à Jacques, pauvre, pour faire disparaître les inégalités de fortune entre lui et Geneviève. En effet, Geneviève étant un bon parti, M. Dormère avait prévu de la marier à son fils Georges. Mais ce dernier se révèle être un piètre prétendant, puisque Georges comptait rembourser ses dettes en s’accaparant l’héritage de sa cousine. Georges se repent à la fin, quand il meurt des suites de la fièvre jaune à Veracruz, en demandant pardon à son père et à Geneviève.


Jane Austen : une source d’inspiration pour la Comtesse de Ségur ?


La Comtesse de Ségur, polyglotte, maîtrisait cinq langues. Lors de ma lecture d’Après la pluie le beau temps deux romans de Jane Austen me sont venus à l’esprit : Raison et sentiments (1811) et Mansfield Park (1814). J’ignore si la Comtesse de Ségur possédait dans sa bibliothèque certains exemplaires de l’autrice anglaise, car elle était peu connue en France au XIXe siècle, mais cela ne me paraît pas tant invraisemblable. En effet, Jane Austen était la fille d’un clergyman et elle imprégnait ses écrits de sa foi chrétienne. Raison et sentiments est publié en France en 1815 sous le titre de Raison et sensibilité d’après une traduction très libre d’Isabelle de Montolieu. L’année suivante, Mansfield Park paraît sous le titre du Parc de Mansfield, ou les Trois cousines après avoir été traduit par Henri Villemain.


J’ai remarqué quelques similitudes entre le dernier roman de la Comtesse de Ségur et les deux ci-dessus nommés de Jane Austen.


Dans Raison et sentiments, le colonel Brandon connaît une histoire d’amour tragique durant sa jeunesse. Il était amoureux de sa cousine Eliza, une richissime orpheline recueillie par les Brandon. Le père du colonel souhaitait marier sa pupille à son fils aîné, son héritier. Mais Eliza et le futur colonel s’aimaient et prévoyaient de s’enfuir à Gretna Green pour se marier. Ayant été informé de leurs projets, Mr Brandon éloigne son fils cadet, et Eliza n’échappe pas aux noces avec l’héritier de son tuteur pour sauver le domaine de Delaford. De retour des Indes quelques années plus tard, le colonel Brandon retrouve Eliza mourante, criblée de dettes, dans une prison. Il apprend qu’Eliza a fui Delaford car son époux la méprisait et qu’elle a eu une fille avec un autre homme. Eliza décède peu de temps après et le colonel recueille sa fille.


Jacques n’est pas le fils cadet de M. Dormère, mais son neveu. Mais tout comme le colonel Brandon, Jacques doit créer sa propre situation dans le monde puisqu’il ne peut pas espérer un gros héritage de sa famille. Alors que Brandon s’engage aux Indes pour l’honneur de son pays, Jacques devient zouave pontifical pour défendre le pape… la foi avant tout ! Son mariage avec Geneviève est lui aussi compromis puisqu’il dépend de l’autorisation de M. Dormère, l’oncle et tuteur, qui souhaite voir la jeune femme épouser son propre fils Georges pour fusionner leurs deux fortunes. Mais la Comtesse de Ségur privilégie un dénouement heureux pour ses deux héros. Jacques et Geneviève parviennent à se marier, et M. Dormère désigne son neveu comme héritier lorsque Georges meurt au Mexique.


Le dénouement d’Après la pluie le beau temps ressemble beaucoup à celui de Mansfield Park. Geneviève, méprisée tout au long de son enfance par son oncle à l’instar de Fanny, gagne enfin son estime et son amour à la fin du roman. Tout comme Fanny et Edmund, Geneviève et Jacques ramènent l’harmonie à Plaisance, qui porte enfin bien son nom.


Par ailleurs, nous pouvons faire quelques parallèles entre Sir Thomas Bertram et M. Dormère. Le patriarche de Mansfield Park est aveugle pendant des années aux vices de ses propres enfants, notamment de sa fille aînée Maria, et se montre injuste avec sa nièce Fanny, parente pauvre pourtant vertueuse. M. Dormère, comme Sir Thomas Bertram, reconnaît ses fautes et manquements à l’égard de Geneviève et finit par l’aimer comme sa propre fille avant de mourir.


À certains égards, Georges peut faire penser à Henry Crawford. La Comtesse de Ségur insinue en effet que Georges est un genre de libertin, tout comme Henry.


Georges pendant ce temps devenait de plus en plus paresseux, insubordonné et méchant. La première communion, qui avait donné à Geneviève une bonne et solide piété, n’avait produit aucun effet sur le cœur et l’âme de Georges. Quand il quitta son collège d’Arcueil à l’âge de dix-huit ans, son père l’établit à Paris pour achever ses études. Il profita de sa liberté non pour travailler, mais pour dépenser de l’argent et faire des sottises ; il allait souvent au spectacle, il donnait à ses amis des déjeuners et des dîners aux restaurants les plus élégants ; il devenait enfin un dépensier et un mauvais sujet. Malgré les libéralités de son père, il avait des dettes qu’il n’osait pas avouer. (Après la pluie le beau temps, p. 139-140)

Cependant dans Mansfield Park, Henry tombe réellement amoureux de Fanny, mais cet amour n’est pas suffisant puisque Henry entretient une liaison avec Maria, mariée, et l’abandonne ensuite. Georges, héritier de Plaisance et des biens de son père, est endetté et souhaite avant tout épouser sa cousine pour s’enrichir et jouir de la fortune de Geneviève comme il l’entend. Habile menteur, il persuade son père de son amour pour Geneviève et lui écrit une lettre d’amour. Mais Geneviève, tout comme Fanny, méprise son prétendant, car elle connaît ses travers.


C’est une supposition de ma part, mais je pense que Georges tombe réellement amoureux de Geneviève – d’ailleurs ses derniers mots lui sont adressés. Mais tout comme Henry, il aurait été incapable de l’aimer sans lui causer du chagrin, puisqu’il aurait été infidèle. Geneviève lui préfère Jacques, un homme bon et pieux, à l’instar de Fanny qui épouse Edmund, un clergyman.


Après la pluie le beau temps 1871 Comtesse de Ségur Hachette 1971 roman littérature jeunesse française 19e siècle

Après la pluie le beau temps est un roman jeunesse qui explore peu la psychologie de ses personnages et reste marqué par un manichéisme prononcé. Pour un (jeune) lecteur du XXIᵉ siècle, il s’avère difficilement lisible, en raison notamment de ses stéréotypes racistes et de la place centrale accordée à la foi chrétienne, érigée en modèle moral absolu.


Pourtant, je ne considère pas avoir perdu mon temps en lisant ce roman. Mieux encore, je suis convaincue qu’une libre adaptation, sous forme de mini-série par exemple, pourrait donner lieu à un résultat très intéressant. Netflix, si l’idée d’adapter une œuvre de la Comtesse de Ségur vous tente, sachez que j’ai déjà quelques suggestions en tête et que je serais ravie de collaborer avec vous !


Trêve de plaisanterie… Et vous, avez-vous eu l’occasion de lire ce roman méconnu de la Comtesse de Ségur ?

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