Critique et analyse « Joker : Folie à Deux » : Lynchage mérité ? SPOILERS

Joker (2019) de Todd Phillips ne devait pas connaître de suite, mais face à son immense succès au box-office, le réalisateur et Warner Bross auraient eu tort de ne pas remettre une pièce dans la machine. En 2022, Todd Phillips annonce que cette suite sera une comédie musicale et que Lady Gaga partagera la tête d’affiche avec Joaquin Phoenix, oscarisé pour le même rôle en 2020. Mais à sa sortie, le 2 octobre 2024, le film réalise un très mauvais démarrage et déçoit fortement les critiques. Joker : Folie à deux est-il réellement une suite indispensable ? Mérite-il ce lynchage ? C’est ce que nous allons voir aujourd’hui !

La conclusion d'une quête d'identité

Cette réalité est connue de tous, les criminels provoquent tout aussi bien la révulsion que la fascination. Arthur Fleck (Joaquin Phoenix), tristement célèbre pour avoir commis six meurtres en moins de quatre semaines – dont celui du présentateur de talk-show Murray Franklin (Robert De Niro) -, n’échappe pas à cette réalité. Emprisonné derrière les grilles de l’unité sécurisée de l’hôpital psychiatrique d’Arkham, l’ancien clown n’est plus qu’un pâle reflet du Joker flamboyant, gracieux et sanguinaire que nous avions découvert à la fin du premier opus.

Pourtant, à l’extérieur de l’asile, le Joker est devenu une icône et déchaîne les passions. Arthur apprend qu’un téléfilm portant sur sa folie meurtrière a été réalisé et diffusé à la télévision. Il dédicace même un livre sur Murray Franklin à l’un des surveillants de l’hôpital. L’intérêt pour le Joker ne faiblit pas, d’autant plus qu’Arthur a été reconnu pleinement responsable de ses actes et ne peut donc pas échapper à la Justice. Paddy Meyers (Steeve Coogan), un journaliste, se rend même à Arkham pour interviewer Arthur en direct à la télévision.

C’est dans ce contexte qu’Arthur rencontre et tombe amoureux de Lee Quinzel (Lady Gaga). Cette jeune femme, qui participe à une chorale, a été internée à Arkham après avoir incendié l’immeuble de ses parents. Rapidement, Lee fait part à Arthur de son admiration pour les crimes qu’il a commis. Arthur, qui a toujours rêvé d’entretenir une relation sentimentale, ne voit pas le piège se refermer autour de lui. En vérité, Lee lui ment et s’est fait interner volontairement à Arkham pour pouvoir l’approcher. Elle symbolise à la fois le public, qui s’attend à retrouver un Joker charismatique, et la foule déchaînée qui a porté aux nues le grand méchant de Gotham. La scène de leur rapport sexuel au mitard est très éloquente. Lee consent à faire l’amour avec Arthur seulement après l’avoir maquillé en Joker, car c’est par lui qu’elle est attirée.

Cependant, il n’y a pas réellement de sentiments amoureux entre les deux nouveaux tourtereaux. Lee adule l’image médiatique du Joker et s’en sert pour devenir connue. Quant à Arthur, il s’agit davantage d’une dépendance affective, car il n’a jamais été aimé. Lee manipule Arthur, lui ment, et est sans doute la véritable folle du duo… Elle n’a jamais mis le feu à l’appartement de ses parents et n’a jamais vécu dans le quartier d’Arthur. Lee est la fille d’un médecin et a grandi dans une famille très riche. Pour retenir son amant, elle prétend être enceinte de ses œuvres… Et ça fonctionne !

Ce n’est que lors du procès, après avoir renvoyé son avocate (Catherine Keener) – la seule femme à faire preuve d’une empathie sincère à son égard -, qu’Arthur prend conscience du mal qu’il a engendré. Le témoignage de Sophie Dumont (Zazie Beetz) met en lumière toute la perversité de la mère d’Arthur qui considérait son fils comme un benêt, un fou et un érotomane. Mais c’est le témoignage de Gary Puddles (Leigh Gill), son ancien collègue nain, qui est déterminant et qui provoque un retournement majeur dans la psyché d’Arthur. Gary a été profondément traumatisé par le meurtre sanglant de Randall Kleinmanhoffer (Glenn Fleshler). Il a perdu son travail, ne dort plus la nuit et est terrifié par Arthur, alors qu’ils étaient amis.

Gary n’est pas la seule victime collatérale de l’accusé. En effet, Sophie Dumont, l'ex intérêt amoureux d'Arthur, a été harcelée par les médias et a été contrainte de quitter Gotham avec sa fille. Le soir-même, Arthur retourne à l’asile et est sévèrement battu par les matons qui tuent ensuite Ricky (Jacob Lofland), un détenu amical, qui prenait sa défense.

Arthur comprend alors qu’il a toujours été lui-même en commettant les meurtres et qu’il n’est pas atteint d’un trouble dissociatif de la personnalité comme le prétendait son avocate. Arthur décide donc d’assumer l’entière responsabilité de ses actes et de ne plus incarner le Joker adulé par la foule et Lee. Mais le mal qui gangrène Gotham ne peut plus être arrêté, car le tribunal est soufflé par une explosion causée par les soutiens du Joker. Momentanément libre, Arthur en profite pour retrouver dans les escaliers - qui mènent à son ancien immeuble - Lee. En bonne hybristophile, sa petite amie lui avoue qu’elle n’aime pas Arthur, un homme minable, mais le Joker. Dévasté, Arthur voit ses rêves s’anéantir et se laisse arrêter sans opposer la moindre résistance. À Arkham, Arthur, lâché par ses soutiens à Gotham, est redevenu l’homme anonyme, méprisé par la société, sans aucun but.

Une suite très imparfaite

La comédie musicale est un genre particulier, d’autant plus quand on parle de l’adaptation de l’histoire de l’un des plus grands vilains des comics. La musique fait sens dans l’histoire d’Arthur. On se souvient de ses danses improvisées après avoir commis un meurtre dans le premier film. La musique lui a toujours permis de fantasmer la réalité et de célébrer les moments heureux. Dans ce second volet, les scènes de comédie musicale servent d’échappatoire à Arthur qui est enfermé dans un univers sombre, morne et violent. Cependant, l’enchaînement de certaines scènes est mal réalisé… et crée l’overdose !

Joker : Folie à deux met essentiellement en scène un procès, celui d’Arthur Fleck. Il permet d’en apprendre davantage sur la personnalité du comique raté, bien qu’on déplore de ne pas en savoir davantage sur ses origines. Beaucoup d’interrogations sur le personnage restent en suspens, tandis que certains matériaux du premier film ne sont pas assez utilisés, tels que le journal intime d’Arthur.

Le procès est également l’occasion d’analyser les événements du premier film et de déconstruire l’image médiatique du Joker qui est devenu – malgré lui – le porte-parole des opprimés et des marginaux. Cependant, Fleck finit par renoncer à ce rôle et par reconnaître qu’il est entièrement responsable des crimes qu’il a commis. Joker n’est pas un double d’Arthur. Il n’est qu’une idée dévoyée, mythifiée qui symbolise ce qu’il y a de plus abjecte à Gotham. Par conséquent, Arthur n’a jamais été le Joker que nous connaissons dans les comics. Il a seulement participé à sa création qui a été aboutie par ses fans. Arthur ne défendait aucune cause, hormis la sienne.

À la fin du film, Arthur meurt tragiquement, poignardé à plusieurs reprises à l’abdomen par l’un de ses codétenus après avoir formulé le souhait d’avoir un fils pour lui succéder. Ce meurtre est mis en parallèle avec une scène de comédie musicale dans laquelle Lee lui tire une balle dans le ventre. Son ancienne petite amie, qui le manipulait, lui avait fait croire qu’elle attendait son enfant, tandis que son véritable assassin se taille sur son visage un sourire, celui du Joker. La boucle est bouclée : l’ombre qui hantait Arthur dans le cartoon à l’ouverture du film finit par avoir raison de lui.

Malheureusement, Joker : Folie à deux n’égale pas le premier opus, en raison d’enchaînements hasardeux, de répétitions et d’une surabondance de scènes musicales. Néanmoins, Todd Phillips réalise dans cette suite un très beau pied de nez en tuant son propre héros. Le fond est assez bon, mais la forme aurait pu être meilleure.